L’impact du changement climatique sur le chevreuil

J’ai montré comment le manque de plasticité de la période des mises-bas chez le chevreuil empêchait les femelles qui mettent bas relativement tard de s’adapter au changement climatique.

L’avancée du printemps a entraîné une avancée de la date de repousse de la végétation et donc de la période où cette végétation est la plus énergétique et digeste pour les chevrettes alors que la période des mises-bas n’a pas changé au cours du temps. J’ai mis en évidence que la diminution de la survie des faons était liée à une mortalité accrue parmi les faons nés relativement tard pendant la période des naissances. En effet, ces faons souffrent d’une naissance de plus en plus tardive par rapport au pic d’abondance des ressources de qualité. Cette diminution de la survie et du développement des faons a entraîné un ralentissement de 6% du taux d’accroissement de la population en 25 ans.

Contexte

Le chevreuil est une espèce charismatique de nos campagnes. Pourtant originellement ce petit ongulé est un solitaire vivant dans les sous-bois qui se nourrit à l’aurore des clairières de jeunes bourgeons et de tiges en croissance. Une population, présentant ces caractéristiques originelles, est étudiée depuis 1975 par l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage (aujourd’hui l’Office Français de la Biodiversité) et le CNRS. Pendant ma thèse, j’ai étudié les performances de cette population et observé un ralentissement du recrutement (succès de reproduction) dans cette population.

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Problématique

J’ai donc étudié si le changement climatique était responsable du déclin du recrutement de cette population de chevreuils et quelles étaient les conséquences du changement climatique sur la dynamique de la population.

Approche et Résultats

J’ai commencé par me documenter pour établir l’ensemble des facteurs environnementaux, climatiques et humains qui pouvaient avoir influencé cette population. J’ai obtenu les données climatiques de la région via des stations météo France et étudié l’augmentation des températures et les variations de précipitations. J’ai également analysé les évolutions moyennes de survie, de succès de reproduction et de poids de cette population. J’ai montré que la survie des faons et le poids moyen des jeunes à un an diminuaient au cours du temps. Mais comment prouver que l’augmentation des températures était liée à ces diminutions?

Grâce à mes recherches bibliographiques et mes discussions avec mes collaborateurs, je savais que le chevreuil se nourrissait principalement de bourgeons à la période des naissances des faons. En effet, comme chez tous les mammifères, la mise bas et la lactation sont des périodes très éprouvantes pour les femelles qui ont besoin de nourriture de très haute qualité énergétique. Pour pallier à ces demandes, les chevrettes se nourrissent de jeunes bourgeons et jeunes tiges très peu lignifiés pour leur facilité de digestion. Or, l’augmentation des températures avait probablement entrainé la modification de la date de débourrement des végétaux. J’ai donc contacté l’Office National des Forêts pour avoir des relevés de débourrement de la végétation dans la région ces trente dernières années. J’ai pu montrer qu’effectivement l’augmentation de la température avait entrainé une avancée significative des dates de débourrement du charme et des ronces, nourriture privilégiée du chevreuil.

En étudiant la première année de vie des faons grâce à des modèles de survie, j’ai montré que la survie annuelle avait diminué au cours du temps et que cette diminution était corrélée à la date de débourrement de la végétation. J’ai ensuite pensé à utiliser la variabilité intra annuelle pour démontrer le lien entre la survie individuelle de chaque faon et le décalage entre sa propre date de naissance et la date de débourrement annuelle de la végétation. En combinant la variabilité de survie et de croissance inter- et intra- annuelle, j’ai donc pu démontrer le lien entre le changement climatique et la diminution de la survie mais aussi du développement des faons. En combinant l’ensemble de ces résultats, j’ai enfin construit un modèle global de dynamique de population (integral projection model) pour comprendre l’ensemble des conséquences directes et indirectes du changement climatique sur le poids, la survie, le succès de reproduction et la dynamique de cette population.

Collaborateurs
  • Jean-Michel Gaillard, Christophe Bonenfant: Laboratoire de Biométrie et Biologie Évolutive, Unité Mixte de Recherche 5558, Université Claude Bernard Lyon 1, France
  • Tim Coulson: Oxford University, United-Kingdom
  • J. Mark Hewison: INRAE, UR035 CEFS, Castanet-Tolosan France
  • Daniel Delorme, Claude Warnant: Centre National d’Études et de Recherches Appliquées Cervidés-Sangliers, Office Français de la Biodiversité, Paris, France
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